L’islam, comme toute grande tradition religieuse, est confronté à des défis majeurs à l’ère contemporaine. Entre la montée de l’islamophobie en Occident et l’extrémisme religieux dans certains pays musulmans, les musulmans se trouvent souvent pris entre deux feux.
Face à cette situation, nous sommes tous persuadés qu’il nous est impératif de retrouver une lecture progressiste et rationnelle de l’islam.
L’Urgence d’une Réforme dans un Monde en Crise
Parmi les penseurs modernes ayant proposé une vision réformiste et dynamique de l’islam, Fazlur Rahman (1919-1988) occupe une place centrale.
Philologue et islamologue d’origine pakistanaise, FazlurRahman s’emploie à concilier foi et raison, tradition et modernité autour d’une lecture contextuelle du Coran, à partir de laquelle il plaide pour une réforme de la charia, susceptible d’avoir un impact dans un monde de plus en plus individualiste et polarisé où ses idées peuvent servir de pont entre l’islam, la modernité et les autres traditions monothéistes.
1. Lecture Contextuelle du Coran : vers une Dynamique Compréhension de sa Réception
Fazlur Rahman occupe une place unique parmi les penseurs musulmans car il appelle les musulmans à une interprétation contextuelle du Coran, lorsqu’il dénonce la lecture littéraliste constante et statique des textes, proposant à ses auditoires une lecture historique et dynamique.
1.1 Exemple : La polygamie dans le Coran
Le verset suivant est souvent cité pour justifier la polygamie dans l’islam :
“Épousez alors celles qui vous plaisent parmi les femmes, deux, trois ou quatre. Mais si vous craignez de n’être pas justes, alors une seule.” (Sourate 4, verset 3)
Rahman rappelle que ce verset a été révélé dans un contexte de guerre où de nombreux orphelins et veuves se retrouvaient sans protection. L’objectif du Coran n’était pas d’encourager la polygamie, mais de réglementer une pratique déjà existante et de la limiter.
Ce que cela change aujourd’hui :
• Une lecture contextuelle et évolutive de ce verset pourrait mener à interdire la polygamie, considérant que la justice parfaite entre les épouses est quasiment impossible.
• Cela libère les sociétés musulmanes de la rigidité juridique et permet une meilleure adaptation aux normes contemporaines sur l’égalité homme-femme.
1.2 Parallèle avec le christianisme et le judaïsme
• Dans le christianisme, la monogamie est devenue la norme à travers une évolution progressive du droit canonique.
• Dans le judaïsme, la polygamie est interdite par le rabbin Gershom au XIᵉ siècle, bien que la Torah ne l’interdise pas explicitement.
2. La Réforme de la Charia : Une Loi en Mouvement
La charia n’est souvent considérée que comme une somme de règles, statiques et fixes, élaborée post-mortem du Prophète (QSSL), à partir du Coran et des hadiths.
Fazlur Rahman affirme que la charia doit évoluer avec le temps, car son objectif premier est l’éthique et la justice sociale, et non un cadre juridique rigide.
2.1 Exemple : L’interdiction de l’usure (riba) dans le Coran
Comme on le sait, le Coran interdit fermement l’usure :
“Ceux qui pratiquent l’usure ne se relèveront qu’à la manière de celui que le toucher du Diable a bouleversé.”(Sourate 2, verset 275)
Pour ceux qui ont une lecture traditionnelle des textes, toute forme d’intérêt sur un prêt est considérée comme interdite. Or l’approche réformiste de Rahman nous éclaire sur le but du Coran qui est de protéger les pauvres contre l’exploitation financière, et non d’interdire tout système bancaire moderne.
2.2 Application contemporaine
Plutôt que d’interdire les intérêts, il est possible de créer un système de finance éthique, inspiré des banques islamiques, mais adapté à la réalité économique mondiale.
C’est ce qui a été fait dans le christianisme avec les banques éthiques, qui limitent les taux d’intérêt pour éviter l’exploitation des plus faibles.
3. La Foi et la Raison : L’Urgence d’un Ijtihad Moderne
L’un des grands combats de Rahman était de réconcilier la foi et la pensée rationnelle. Il critiquait le taqlid (suivi aveugle des traditions) et appelait à un ijtihad (effort d’interprétation) renouvelé.
3.1 Exemple : La liberté de conscience dans le Coran
Contrairement aux idées reçues, le Coran affirme clairement la liberté de croyance :
“Nulle contrainte en religion.” (Sourate 2, verset 256)
Certaines tendances littéralistes passent sous silence ce verset, et proposent des sanctions draconiennes contre l’apostasie ou le blasphème. Pour sa part, la vision progressiste de Rahman reprend l’idée que l’islam ne doit pas subir de contrainte, et qu’il faut choisir en conscience d’être croyant.
3.2 Le christianisme et le judaïsme comme précédents
- Le christianisme après les Lumières n’a plus eu recours à la coercition religieuse, ce qui a mis fin aux persécutions pour hérésie.
- Le judaïsme réformé a progressé pour accepter le pluralisme religieux tout en demeurant fidèle à ses traditions.
Dans un monde où l’extrémisme religieux est présent, une telle lecture figure un islam ouvert, tolérant, vivant intellectuellement qui répond aux critiques islamophobes qui introduisent l’idée d’un islam figé et violent.
4. Vers une réhabilitation de l’Islam moderne
Fazlur Rahman est une des voix incontournables du monde islamique du XXIème siècle, d’une part car il rend possible une lecture moderne et appropriée du Coran, d’autre part parce qu’il il nous amène à réfléchir sur l’évolution d’un droit musulman plus éthique pour un Islam universel, une réconciliation entre foi et raison, afin de surmonter les enjeux cruciaux que les musulmans vivent dans le monde d’aujourd’hui !
Adopter une telle attitude aujourd’hui est essentiel, tout d’abord face à l’islamophobie, car il est crucial de montrer un islam intellectuel et évolutif. Mais également face à l’extrémisme religieux, qu’il faut contrer dans ses lectures rigides du Coran en lui opposant un islam fondé sur l’éthique et la réflexion.
Comme l’a fait le christianisme après les Lumières et le judaïsme avec ses réformes, l’islam a plus que jamais besoin d’un renouveau théologique pour s’affirmer comme une force intellectuelle et spirituelle du monde moderne.
Il est temps pour nous musulmans d’ouvrir une nouvelle ère de réflexion et d’innovation, où l’islam pourra s’épanouir en harmonie avec les principes de justice, de liberté et de raison.
Avant qu’il ne soit trop tard.
La Rédaction
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